Notes d’allocution par le chef du Parti libéral du Canada, Justin Trudeau, lors de la conférence Canada 2020
02 octobre 2014
Merci de me donner cette tribune. Merci d’être ici aujourd’hui et demain pour débattre des grands enjeux auxquels nous faisons face en tant que pays.
En réfléchissant à mon allocution d’aujourd’hui, je me suis posé la question que Canada 2020 nous pose dans le cadre de cette conférence : dans quel genre de pays voulons-nous vivre en 2020?
Pour ma part, j’espère que ce sera un pays qui aura redécouvert la voie du progrès. J’espère que ce sera un pays qui aura renoué avec la promesse de laisser un meilleur pays à nos enfants que celui dont nous avons hérité de nos parents.
En somme, j’aimerais que le Canada en 2020 soit le précurseur d’un Canada encore meilleur en 2030.
Quelques années nous séparent de 2020, mais chacun des défis que nous relevons aujourd’hui est une chance d’édifier le Canada de demain.
Ce faisant, nous devons aussi envisager les effets à long terme qu’auront nos actions. Comment ne pas trahir le caractère de notre pays? Comment respecter les hauts standards qui sont les nôtres? Comment prendre des décisions qui tiennent compte de l’avenir?
La question sur laquelle nous sommes appelés à nous prononcer ces jours-ci est la suivante : quel est notre rôle sur la scène internationale? Et comment pouvons-nous utiliser notre influence de manière positive et constructive?
Nous sommes confrontés à une question très sérieuse et aux répercussions multiples : comment le Canada devrait-il agir sur la scène internationale?
Plus exactement : comment le Canada peut-il déployer ses ressources et mettre à profit son esprit d’initiative dans un monde où les menaces sont constantes et complexes? Comment pouvons-nous assurer notre propre sécurité, et permettre à des peuples de vivre en paix dans les endroits du monde où les pires combats ont lieu?
Voilà ce à quoi nous sommes confrontés avec l’EIIL, l’État islamique en Irak et au Levant. Il s’agit d’une menace pour la sécurité des régions concernées, pour la sécurité mondiale et pour les millions de personnes innocentes qui vivent dans une partie du monde déjà ravagée par la guerre.
Vous savez aussi bien que moi que les actes perpétrés par l’EIIL sont horribles. C’est précisément le but recherché.
L’EIIL assassine des membres de minorités ethniques et religieuses en Irak.
Il assassine des civils innocents, des travailleurs humanitaires et des journalistes.
Ces actes horribles ont été pleinement documentés, souvent par les terroristes eux-mêmes.
Il est nécessaire de s’occuper de cette crise humanitaire et de cette menace mondiale.
Mais quand nous nous demandons ce que le Canada devrait faire à ce sujet, cela donne lieu à beaucoup de questions difficiles.
Il y a dix ans, les pays alliés ont dû prendre leurs propres décisions sur une intervention militaire en Irak. Le gouvernement dirigé par Jean Chrétien a pris la sage décision de ne pas commettre les forces armées canadiennes dans cette aventure. Mais le premier ministre actuel, M. Harper, était de ceux qui pensaient que le Canada devait s’engager dans cette guerre.
Notre décision de ne pas aller en guerre était la bonne.
La guerre en Irak de 2003 a été menée sous de faux prétextes et avec des renseignements erronés.
Cette mission a déstabilisé cette région du globe… engendré d’autres conflits… coûté à nos alliés environ trois mille milliards de dollars… et coûté la vie à des milliers de personnes.
Le monde entier paie encore aujourd’hui le lourd tribut de cette erreur.
N’oublions jamais la façon dont cette mission a été présentée à la population :
Avec un discours moralisateur et endiablé qui cachait les failles bien présentes de la stratégie et du plan de mission.
Cela m’est venu à l’esprit l’autre jour au Parlement, lorsque M. Harper a qualifié la campagne militaire actuelle d’« effort noble ».
En 2003, il avait déclaré que la guerre en Irak du président Bush était une question de « liberté, de démocratie et de civilisation ».
Alors nous comprenons tous très bien pourquoi les Canadiens ont beaucoup de doutes et de questions par rapport à la situation actuelle.
Ils méritent des réponses.
Des réponses claires. Honnêtes. Factuelles.
Le fiasco de 2003 nous hante toujours. Parce que de mauvaises décisions ont été prises à ce moment-là, nous ne pouvons pas nous tromper cette fois-ci.
Malheureusement, nous ne disposons pas de tous les faits en ce moment.
Et M. Harper n’a montré aucune volonté de nous les fournir.
Le gouvernement conservateur a commis l’armée canadienne pour une mission d’appui de trente jours.
Les libéraux ont appuyé cette mission de non-combat de bonne foi.
Et comment cette foi a-t-elle été récompensée?
Ils n’ont pas révélé les objectifs de cette mission.
Ils n’ont pas révélé la façon dont cette mission pourrait se terminer.
Ils n’ont pas été francs sur le nombre exact de membres de nos Forces qui prennent part à cette mission.
Ils ne donnent même pas une date de début… et encore moins une date de fin.
En fait, la date de fin n’a été connue qu’après un certain temps.
Mais à ce moment-là, les Forces canadiennes étaient déjà impliquées.
Les Canadiens ne savent toujours pas ce que ces conseillers — des membres de nos Forces — ont fait pendant tout ce temps.
Ni les risques auxquels ils peuvent être exposés.
Cette mission de 30 jours tire bientôt à sa fin.
Alors où en sommes-nous aujourd’hui?
Le premier ministre a déclaré qu’il serait prêt à ce que le Canada joue un plus grand rôle dans la mission actuelle.
Il a dit que les États-Unis avaient demandé pour un appui additionnel. Et qu’il considérait leur demande.
Mais il n’a partagé aucune information avec le Parlement.
Et il n’a partagé aucune information avec les Canadiens.
Comment M. Harper a-t-il annoncé aux Canadiens qu’il pensait envoyer leurs compatriotes dans une guerre?
Il l’a fait de façon désinvolte alors qu’il était en déplacement à New York, lors d’un entretien avec le Wall Street Journal chez Goldman Sachs.
Et comme nous l’avons appris plus tard par l’entremise du département d’État américain, M. Harper a sa propre version des faits qui ne cadre pas vraiment avec la réalité.
C’est lui qui a offert en premier de fournir une aide.
Au lieu d’être honnête et franc avec les Canadiens, il a dissimulé la vérité.
Au lieu d’être ouvert et transparent, M. Harper a donné sa propre version des faits. Une version qui lui permettait de convaincre ses interlocuteurs.
Il reste peu bavard, et pour cause.
Contrairement aux premiers ministres qui l’ont précédé pendant des décennies, M. Harper n’a fait aucun effort pour monter un argumentaire non partisan en faveur de la guerre.
Au lieu de cela, il nous met au défi de nous opposer à ses plans de guerre, marquant non pas son territoire moral, mais son territoire politique.
Toutes ces questions de la plus haute importance restent ainsi sans réponse.
Nous ne savons pas exactement ce qu’il a proposé aux Américains.
Nous ne savons pas quel rôle le Canada devra jouer.
Nous ne savons pas la durée de notre participation.
Nous ne savons pas à quel point nos CF-18 seront vraiment utiles.
On nous parle plutôt de la noblesse du combat.
Tout cela inquiète grandement les Canadiens, et à juste raison.
Voici ce que nous savons :
Cela fait plus d’une semaine que le premier ministre Harper a déclaré qu’il pourrait changer le rôle du Canada dans le combat contre l’EIIL — passant d’un rôle de non-combat à un rôle de combat.
Cela fait plus d’une semaine qu’il a dit que nous pourrions envoyer les Forces canadiennes à la guerre.
Ce qui signifie que cela fait maintenant plus d’une semaine qu’il nous dirige vers quelque chose dont nous ne pouvons pas — et dont il ne souhaite pas — définir la nature.
Mes amis, cela est très inquiétant. Sur cette question de la plus haute importance, et dans cette région du globe en particulier, cela est très inquiétant.
Le Canada a déjà demandé beaucoup de la part de ses hommes et ses femmes en uniforme au cours de la dernière décennie. Et trop souvent, on les a laissé tomber à leur retour au pays. Si nous devons à présent leur demander d’en faire encore plus, nous ferions mieux d’avoir une bonne raison.
Nous avons dit depuis le début qu’un changement d’orientation dans la mission devrait faire l’objet d’un débat aux communes.
M. Harper veut aller en guerre. Il doit nous dire pourquoi.
C’est à lui que revient le fardeau de la preuve.
M. Harper a l’intention de faire entrer le Canada en guerre en Irak. Il doit justifier cette décision.
Il n’a pas encore fait valoir ses arguments.
Il n’a même pas essayé de le faire.
Depuis le moment où M. Harper a soulevé à Wall Street l’idée d’une mission canadienne prolongée en Irak… Notre allié, le premier ministre britannique David Cameron, est allé au-delà de la partisanerie et a tenu un débat parlementaire réfléchi et exhaustif.
Toute une différence!
On nous a dit qu’un débat aura finalement lieu à la Chambre des communes, à Ottawa.
Eh bien, voici les principes fondamentaux que les libéraux présenteront lors de ce débat.
Premier principe : Que le Canada a un rôle à jouer pour répondre aux crises humanitaires et aux menaces à la sécurité dans le monde.
Deuxième principe : Que lorsqu’un gouvernement envisage le déploiement de nos hommes et de nos femmes en uniforme, la mission ainsi que le rôle du Canada dans cette mission doivent être clairement définis.
Troisième principe : Que l’argumentaire pour le déploiement de nos forces doit être présenté ouvertement et avec transparence, sur la base de faits présentés de façon claire, fiable et rationnelle.
Et quatrième principe : Que le rôle du Canada doit refléter tout ce que notre pays peut offrir, afin que nous puissions venir en aide de la meilleure façon qui soit.
Le fond du problème est le suivant :
Les Canadiens s’attendent à ce qu’un premier ministre, qui veut envoyer nos Forces en guerre, réponde aux plus hauts standards d’honnêteté et d’ouverture.
Jusqu’à présent, M. Harper a failli lamentablement.
Permettez-vous de vous expliquer une chose : ce que M. Harper aimerait, c’est que les Canadiens croient que la meilleure façon dont le Canada puisse contribuer à cette mission soit d’envoyer une poignée d’avions de chasse vieillissants.
Je crois que les Canadiens peuvent contribuer de bien d’autres façons. Nous pouvons faire preuve d’ingéniosité, et le Canada peut jouer de nombreux rôles de non-combat significatifs.
Le Canada peut jouer un rôle significatif en Irak même s’il refuse de se lancer dans une mission de combat.
Et nous pouvons jouer certains rôles mieux que beaucoup de nos alliés, voire mieux que tous nos alliés.
Qu’il s’agisse de transport aérien stratégique… d’entraînement… ou encore d’aide médicale.
Nous avons les moyens de prêter main-forte efficacement dans un rôle de non-combat, au sein d’une mission internationale bien définie.
Et nous devrions également répondre à l’appel de nos alliés et leur fournir une assistance supplémentaire, avec un effort d’aide humanitaire bien financé et bien planifié.
Les valeurs et les principes du Canada se retrouvent dans notre engagement envers la Responsabilité de protéger. Et même si cela ne nous oblige pas à jouer un rôle de combat, nous avons l’obligation de venir en aide.
Le Canada a une longue et fière tradition de venir en aide à ceux qui en ont besoin à travers le monde. Nous l’avons fait souvent et nous pouvons le faire encore.
Notre gouvernement a la capacité et les moyens d’offrir une aide au développement beaucoup plus généreuse aux Irakiens.
Nos alliés dans la région, la Turquie et la Jordanie, ont été aux premières lignes de la crise de réfugiés. Ils ont besoin d’aide.
Ils ne seront pas en mesure de garder seuls ce niveau d’engagement et de responsabilité encore longtemps. Il nous appartient de les appuyer dans cette crise humanitaire d’une ampleur gigantesque.
Une réforme politique doit avoir lieu en Irak. Ce pays a besoin de partenaires avertis pour les aider à bâtir ces institutions. C’est là une de nos spécialités.
Le pays a besoin d’un gouvernement inclusif qui parle au nom de toutes les Irakiennes et de tous les Irakiens, et qui les représente tous. L’Irak a besoin d’un gouvernement équitable et respectueux des nombreuses minorités ethniques qui y vivent.
Le Canada a cette expertise.
En fin de compte, tout est une question de leadership. Qui voulons-nous être? Quelles sont nos valeurs? Quels sont nos intérêts et comment voulons-nous les défendre sur la scène internationale?
Sur ce point, il s’agit de la responsabilité sacrée du premier ministre d’être honnête et sincère envers la population, à plus forte raison lorsque des vies sont en jeu. Chaque fois que l’on décide de prendre part à des combats, ne perdons pas de vue qu’un courageux Canadien risquera sa vie. Nous lui devons de faire preuve de clarté. Nous lui devons d’avoir un plan.
Mais par-dessus tout, nous lui devons de dire la vérité.
M. Harper a manqué à tous ces devoirs.
Canada 2020 nous pose une autre question. Vous la trouverez sur son site Web : Où voulons-nous que le Canada se situe sur la scène internationale?
Je pense que la réponse à cette question est somme toute assez simple. Nous ne voulons pas d’un Canada qui croit être un chef de file alors qu’en réalité, il peine à suivre sur la scène internationale.
C’est une chose de se dire un leader dans le monde; c’est une tout autre chose de le démontrer en passant de la parole aux actes. Dire que le Canada est bon ne suffit pas. Il faut le démontrer avec des gestes concrets.
Le Canada devrait être un vrai chef de file. Un chef de file qui a gagné sa place dans le peloton de tête grâce au rôle qu’il assume à l’international, et à notre engagement à défendre les droits de la personne et la sécurité. Un Canada qui reste fidèle à ses valeurs fondatrices… et qui est un exemple pour le monde entier.
Merci.
La version prononcée fait foi