Allocution du Justin Trudeau à la Chambre des communes au sujet du Budget 2015
23 avril 2015
La version prononcée fait foi
Monsieur le Président, je tiens à vous parler au lendemain du dépôt du 10e et dernier budget du gouvernement conservateur. C’est un budget qui donne le plus de choses aux Canadiens qui en ont le moins besoin. Je ne prétendrai pas que ce document n’est pas important, bien au contraire.
Il y aura bientôt des élections. Quand viendra le temps de faire campagne, le premier ministre et ses candidats citeront ce dernier budget pour essayer de convaincre les électeurs de les maintenir au pouvoir. Il est donc très important que les Canadiens sachent en quoi consiste ce budget, ce qu’il contient et ce qu’il ne contient pas.
Par exemple, ce n’est pas un plan pour stimuler la création d’emplois et la croissance dans l’interêt de la classe moyenne et de ceux qui aspirent à en faire partie.
Ce budget est un document politique produit à des fins politiques. Il définit une vision pour une campagne électorale conservatrice, et non une vision pour le Canada.
Il y a longtemps, avant que le Canada ne devienne officiellement un pays, une autre campagne était en cours, et lorsque Louis-Hippolyte La Fontaine a parlé à ses concitoyens de Terrebonne, voici ce qu’il a dit :
« Le Canada est la terre de nos ancêtres; il est notre patrie, de même qu’il doit être la patrie adoptive des différentes populations qui viennent, des diverses parties du globe, exploiter ses vastes forêts dans la vue de s’y établir et d’y fixer permanemment leur demeure et leurs intérêts. Comme nous, elles doivent désirer, avant toutes choses, le bonheur et la prospérité du Canada. C’est l’héritage qu’elles doivent s’efforcer de transmettre à leurs descendants sur cette terre jeune et hospitalière. Leurs enfants devront être, comme nous, et avant tout, Canadiens. »
Pendant que les Canadiens peinent à joindre les deux bouts, le gouvernement du premier ministre trouve justifié de dépenser 750 millions de dollars pour mousser des mesures qui parfois n’existent même pas.Justin Trudeau
À titre d’ancienne gouverneure générale du Canada, Adrienne Clarkson a dit ceci: « Dans ce paragraphe sont énoncés tous les principes fondamentaux qui nous définissent, nous, Canadiens, dans une société d’immigrants ». Je suis d’accord avec cela, mais ce n’est pas tout.
Ce paragraphe exprime une idée fondamentale envers laquelle les Canadiens se sont engagés et qu’ils ont respectée pendant des générations: que leurs enfants et petits-enfants aient une chance égale et une vie meilleure que celle qu’ils ont eue.
Longtemps, ce fut le cas au Canada. Au cours du dernier siècle, notre économie a crû et notre classe moyenne aussi, au point où c’est devenu le fondement d’un avenir économique prospère. Lorsque la classe moyenne grandit et réussit, il en va de même pour le pays entier.
Néanmoins, quelque chose a changé durant la dernière décennie.
Lorsque le premier ministre est arrivé au pouvoir pour la première fois, en 2006, il disposait d’un excédent de 13 milliards de dollars, qui lui avait été légué par le gouvernement précédent. À ce moment-là, notre pays était probablement celui qui avait la situation financière la plus solide du monde. Il n’a fallu que trois ans pour que le premier ministre fasse replonger le Canada dans le déficit, et cela s’est produit avant la récession. Après presque 10 ans de mauvaise gestion financière de la part des conservateurs, le Canada se classe aujourd’hui derrière 139 autres pays pour ce qui est de la croissance prévue en 2015, et il en était ainsi avant la baisse des prix du pétrole et avant que le gouvernement repousse la présentation du budget.
Cela dit, les Canadiens n’ont pas besoin d’entendre parler de la situation financière des autres pays pour savoir à quel point les choses vont mal. Au cours des 30 dernières années, le revenu médian après impôt des familles du Canada, des familles de la classe moyenne, a seulement augmenté de 15 %. Malgré cela, les Canadiens continuent de travailler d’arrache-pied et d’apporter une contribution à notre pays et à son avenir. Pourtant, que se passe-t-il lorsque ces travailleurs canadiens sont prêts à prendre leur retraite? Nombreux sont ceux qui ne peuvent pas se le permettre. Ils doivent continuer de travailler simplement pour être capables de survivre.
Des études montrent maintenant que le tiers des Canadiens qui approchent de l’âge de la retraite ne sont pas parvenus à faire des économies en vue de celle-ci.
Par le passé, le gouvernement aidait ces gens. Maintenant, c’est de moins en moins vrai. En repoussant l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti, le premier ministre a fait en sorte qu’il sera encore plus difficile pour les Canadiens d’avoir la retraite qu’ils méritent. Il a pris ces mesures pour que le gouvernement puisse doubler la limite de cotisation à un compte d’épargne libre d’impôt. Encore une fois, cette mesure ne favorise que les Canadiens les plus riches. C’est injuste. Le Canada mérite un meilleur plan, qui viserait avant tout à renforcer la classe moyenne.
Le premier ministre aurait pu mettre en oeuvre un plan de croissance; il ne l’a pas fait. En examinant ce budget, nous constatons qu’il ne veut toujours pas le faire. Or, parce que son gouvernement n’a rien fait pour promouvoir la croissance depuis une décennie, notre classe moyenne, cette assise fondamentale de l’économie, a commencé à faiblir.
Moins de la moitié des Canadiens considèrent faire partie de la classe moyenne en comparaison à 67 % en 2002. Pas moins de 57 % des Canadiens pensent que la prochaine génération sera en plus mauvaise posture.
Comment se fait-il qu’une nation comme la nôtre, riche de tellement de façons, en soit arrivée là, et qu’autant de Canadiens aient de la difficulté à joindre les deux bouts jour après jour?
Au lieu de cela, il dépensera un autre montant de 7,5 millions de dollars pour s’assurer que ce budget fasse bonne figure à la télé. Ce n’est pas un plan pour le Canada. C’est de la publicité pour le Parti conservateur.Justin Trudeau
C’est parce que le gouvernement a négligé l’autre caractéristique essentielle du Canada à la-quelle La Fontaine a fait allusion il y a 170 ans: l’équité.
L’équité n’implique pas l’égalité entre tous, mais l’égalité des chances pour tous. Voilà ce que représente le Canada. Quelle que soit son identité ou son origine, toute personne mérite une chance égale. C’est ainsi que nous assurons ensemble notre réussite. Voilà comment nous favorisons notre croissance économique.
Comme nous l’avons vu avec ce nouveau budget, les conservateurs n’ont toujours pas de plan pour la croissance. Voici plutôt en quoi consiste leur plan.
Le premier ministre et le gouvernement conservateur veulent dépenser 2 milliards de dollars pour un allégement fiscal destiné aux Canadiens les plus riches. Pour financer cette mesure, ils ont vendu de nombreux éléments d’actifs et réduit les investissements dans des secteurs essentiels comme les infrastructures, le soutien à la GRC et à nos services de sécurité ainsi que les soins de santé pour les anciens combattants. Tout cela pour accorder un allégement fiscal à moins de 15 % des Canadiens et faire payer la note aux 85 % qui restent. Cela ne favorisera ni notre croissance économique ni la prospérité de la classe moyenne.
C’est injuste.
Le premier ministre et son gouvernement aiment parler des emplois créés depuis la récession, mais en réalité, des centaines de milliers de Canadiens sont toujours sans emploi ou sous-employés. Il y a quelque 200 000 personnes de plus qu’avant la récession qui ne travaillent pas.
En fait, la croissance de l’emploi s’est située à moins de 1 % durant 15 mois consécutifs. C’est la plus longue période en dessous de ce seuil depuis près de 40 ans, excluant les périodes de récession.
Les statistiques sont encore plus sombres lorsqu’on parle des jeunes. Il y a maintenant plus de 165 000 emplois de moins pour les jeunes Canadiens qu’il y en avait avant la récession.
À quoi ressemble un véritable plan de croissance? Il commence par prévoir des investissement dans les infrastructures. Les conservateurs disent aux Canadiens qu’ils investissent des sommes colossales dans les infrastructures, mais ce n’est pas tout à fait exact. « Trop peu trop tard », voilà qui caractérise bien leur plan d’infrastructures. L’an dernier, le gouvernement a amputé de 87 % le budget des programmes d’infrastructures Chantiers Canada, et les choses ne se sont pas vraiment améliorées cette année.
Tous les engagements dans ce dossier ne se concrétiseront que dans des années d’ici.
Un véritable plan de croissance mettrait en place dès aujourd’hui un plan d’infrastructures sérieux, qui permettrait de créer des emplois et préparerait le Canada à tirer son épingle du jeu dans la nouvelle économie mondiale et à lutter contre les changements climatiques, même si, dans ce dernier cas, il faut croire aux changements climatiques pour vouloir s’y attaquer.
Pour revenir à l’infrastructure et aux investissements, chaque dollar investi dans les routes, l’eau ou le transport en commun apporte une croissance de 1,20 $. Chaque dollar investi dans le logement abordable génère une croissance de 1,40 $. Un milliard de dollars investi dans l’infrastructure crée 16 000 années-personnes de bons emplois, le genre d’emplois dont les Canadiens ont besoin et qu’ils sont prêts à occuper. Ça, c’est un excellent taux de rendement. Ça, c’est la croissance économique.
Pour revenir à l’infrastructure et aux investissements, chaque dollar investi dans les routes, l’eau ou le transport en commun apporte une croissance de 1,20 $. Chaque dollar investi dans le logement abordable génère une croissance de 1,40 $.Justin Trudeau
La modernisation des infrastructures facilite et accélère le commerce. Cela permet aux Canadiens de se rendre à destination plus rapidement et avec plus de sécurité. Comme je l’ai dit, des investissements intelligents dans l’infrastructure prépareront le Canada aux effets des changements climatiques. Il faut aussi souligner qu’on ne mentionne pas une fois les changements climatiques dans les plus de 500 pages de ce budget, ni comme une réalité de vie ni comme défi économique. Ce manquement en dit long. Lorsqu’on parle de changements climatiques, honnêtement, nous n’avons pas seulement une discussion scientifique, nous discutons de l’économie. C’est une discussion que nous devons avoir en 2015, et de l’ignorer complètement est un échec unique en son genre.
En quoi consiste plutôt la priorité du premier ministre, à part, il va sans dire, alléger le fardeau fiscal des Canadiens les plus riches de 2 milliards de dollars? La publicité.
Pendant que les Canadiens peinent à joindre les deux bouts, le gouvernement du premier ministre trouve justifié de dépenser 750 millions de dollars pour mousser des mesures qui parfois n’existent même pas.
Pensons-y. Trois quarts de milliard de dollars pour persuader la population à coups d’annonces télévisées et de panneaux-réclame. Ce n’est pas de la prudence financière, c’est du gaspillage, purement et simplement. Je dirais même plus, c’est une insulte. Le premier ministre ne doit pas avoir une bien haute opinion des Canadiens pour tenter de leur faire gober que le droit de gouverner se gagne à grand renfort de publicités télévisées.
Ce budget est un document politique produit à des fins politiques. Il définit une vision pour une campagne électorale conservatrice, et non une vision pour le Canada.Justin Trudeau
Les députés savent-ils comment les Canadiens font pour savoir que leur gouvernement fait son travail? Un indice: ce n’est pas parce qu’une publicité télévisée le leur dit. Ils savent que leur gouvernement fait son travail quand ils peuvent emprunter de nouvelles routes pour se rendre au travail, quand les ponts qu’ils traversent sont sans danger, quand une nouvelle flotte d’autobus leur permet de se rendre à l’autre bout de la ville en moins de temps qu’avant, quand ils se font proposer un plan pour contrer les changements climatiques ou quand ils occupent un emploi à temps plein bien rémunéré pendant que leurs enfants reçoivent une éducation de qualité.
Les Canadiens savent que le gouvernement fonctionne lorsqu’ils ont une vraie chance équitable de réussir. Toutefois, le premier ministre n’a pas de véritable plan pour quoi que ce soit.
Au lieu de cela, il dépensera un autre montant de 7,5 millions de dollars pour s’assurer que ce budget fasse bonne figure à la télé. Ce n’est pas un plan pour le Canada. C’est de la publicité pour le Parti conservateur. Et, pour payer cette publicité, il utilise l’argent des Canadiens qui travaillent fort. Je l’affirme: c’est injuste.
Comme l’ont démontré des générations de Canadiens, dans nos interactions avec autrui, ami ou étranger, nous nous efforçons d’être justes. Même des décennies avant la création officielle de notre pays, nous savions que c’était un principe qu’il fallait respecter pour assurer la prospérité de tous, qui qu’ils soient et quelles que soient leurs origines.
Le budget d’un gouvernement ne devrait pas être un outil de marketing. Ce devrait être un document qui, entre autres choses, établit la marche à suivre pour concrétiser la vision que nous avons pour notre pays.
Ce n’est pas censé être un message publicitaire. Ce devrait être un plan juste et compatissant, responsable autant du point de vue fiscal que social. Aucune de ces choses ne décrit le budget. Nous ne pouvons l’appuyer.
Je propose donc que l’amendement soit modifié par l’ajout suivant:
- profite de façon inéquitable aux riches au lieu d’aider les gens de la classe moyenne et ceux qui font tout pour s’y intégrer;
- ne contient aucun plan visant les emplois et la croissance.