Budget de 2015 : les Canadiennes et les Canadiens veulent de l’aide pour la classe moyenne et non des allègements fiscaux pour les plus aisés
18 Décembre 2014
Monsieur le Ministre,
Je vous remercie de votre lettre m’invitant à contribuer à l’élaboration du budget fédéral de 2015.
Bien que je partage évidemment votre avis selon lequel il convient d’éviter d’engager des dépenses irréfléchies dans le prochain budget, le fractionnement du revenu à hauteur de 2 milliards de dollars annoncé récemment par votre gouvernement conservateur épuisera presque entièrement l’excédent budgétaire fédéral sans créer le moindre emploi ni offrir la moindre possibilité aux jeunes d’améliorer leur sort. Nous sommes d’accord avec votre prédécesseur, le regretté Jim Flaherty, qui disait que la grande majorité des Canadiennes et des Canadiens, ainsi que la classe moyenne, ne retireraient sans doute guère de bénéfice de cette proposition de fractionnement du revenu.
Les Canadiens de la classe moyenne ont fait des sacrifices pour que le gouvernement fédéral puisse dégager un excédent. Ils ne devraient pas devoir financer un allègement fiscal de 2 000 $ dont 85 % des Canadiens seront privés, mais qui profitera à des familles comme celle du premier ministre et la mienne. Le fractionnement du revenu n’est pas un investissement avisé; en fait, c’est un parfait exemple de dépense « irréfléchie ».
Plutôt que de mettre en œuvre des allègements fiscaux inéquitables dont seuls les mieux nantis de notre société pourront bénéficier, nous devrions investir l’excédent dans des domaines qui profiteront le mieux à l’ensemble de la population canadienne, maintenant et à long terme. Des investissements judicieux dans l’éducation, les infrastructures, les ressources naturelles et l’innovation créeront des emplois à court terme et prépareront le Canada à relever les défis de demain. Nous devons souligner l’importance du commerce en parachevant bel et bien d’importants accords commerciaux comme l’accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne au lieu de nous contenter d’annoncer de nouveau des ententes dont la négociation n’est pas terminée. Et nous devrions évidemment accroître notre soutien – notamment financier – à nos anciens combattants dès maintenant, et non dans 50 ans.
Cela dit, comme vous sollicitez des mesures à coût faible ou neutre, je vous propose les suivantes.
Premièrement, je suggère d’entreprendre une vaste refonte de notre régime d’accès à l’information, lequel est largement désuet et doit être mis à niveau en fonction des principes de gouvernance et de la technologie du XXIe siècle.
Le gouvernement devrait d’abord modifier la Loi sur l’accès à l’information pour veiller à ce que les Canadiens aient accès automatiquement à l’information gouvernementale. Comme nous le savons, le bilan du Canada en matière d’accès à l’information a été vivement critiqué par de nombreux intervenants, dont les parlementaires, la commissaire à l’information, les médias, les chercheurs et les spécialistes indépendants. Les allègements administratifs découlant de la publication par défaut de l’information seraient substantiels et se traduiraient en fait par des économies pour le gouvernement.
Deuxièmement, le budget de 2015 devrait mettre en place un comité multipartite de supervision en matière de sécurité nationale. À l’heure actuelle, le Canada est le seul membre de l’alliance Five Eyes à ne pas disposer d’un tel mécanisme, ce qui empêche les Canadiens de demander des comptes à nos agences de sécurité.
D’excellents progrès ont été faits pour corriger cette situation au cours des 37e et 38e législatures, comme en témoigne l’excellent travail accompli par le Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale, auquel siégeait le ministre de la Justice. Cette démarche a débouché sur le dépôt du projet de loi C 81, qui est mort au feuilleton à la dissolution de la 38e législature. Depuis 2006, la mise sur pied d’un comité multipartite de supervision en matière de sécurité nationale est au point mort.
Puisque les parlementaires ne toucheraient pas de rémunération additionnelle en contrepartie de leur présence au sein d’un tel comité, les dépenses seraient uniquement liées au soutien administratif. Selon le rapport de 2004 du Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale, ces coûts seraient de l’ordre de 3 millions de dollars par année. Je crois que nous pouvons tous deux admettre que cette dépense serait justifiée à condition qu’elle permette de superviser comme il se doit nos agences de sécurité.
Troisièmement, je recommande de réglementer plus strictement la publicité gouvernementale. Certes, la publicité gouvernementale peut jouer un rôle utile. Au cours de l’épidémie de SRAS, le gouvernement du Canada a mené une vaste campagne de sensibilisation dans le but de renseigner les Canadiens au sujet de cette maladie et de proposer des mesures efficaces pour en éviter la propagation. La Commission canadienne du tourisme disposait autrefois d’un budget raisonnable afin de promouvoir le Canada comme destination touristique auprès des voyageurs potentiels, mais ce n’est plus le cas. Au cours des dernières années, la publicité du gouvernement du Canada est devenue nettement plus partisane et fournit très peu de renseignements utiles aux Canadiens.
Comme on a pu le lire récemment dans le National Post, les toutes dernières annonces du gouvernement du Canada sont presque impossibles à distinguer de celles du Parti conservateur du Canada. Cette utilisation des fonds publics est carrément inappropriée, en plus d’être inacceptable pour les contribuables canadiens.
Mon collègue le député d’Ottawa Sud, David McGuinty, a déposé à la Chambre le projet de loi C 544, qui garantirait le caractère approprié de la publicité. Je vous invite vivement à profiter du prochain budget pour mettre en œuvre ce projet de loi. L’interdiction de la publicité partisane ruineuse permettrait d’économiser des dizaines de millions de dollars chaque année.
Enfin, les Canadiens ont clairement dit qu’ils ne veulent plus de projets de loi budgétaires d’ensemble antidémocratiques. Il est donc primordial d’assurer la transparence financière du budget de 2015 et de toutes les mesures législatives portant sur les dépenses gouvernementales. Je propose donc un contrôle parlementaire plus rigoureux des finances publiques, ce qui inclut notamment une échéance annuelle pour la présentation du budget; la cohérence comptable entre les budgets des dépenses et les Comptes publics; un système de vote plus clair sur les budgets des dépenses; la présentation d’une analyse de coûts pour accompagner tout projet de loi du gouvernement; et l’obligation de soumettre les plans d’emprunt du gouvernement à l’approbation préalable du Parlement. Les Canadiens réclament – et méritent – de savoir comment l’argent de leurs impôts est dépensé.
Ces propositions rendront le gouvernement plus efficace et plus transparent pour tous les Canadiens. J’espère que vous leur accorderez pleine considération à mesure que vous parachèverez le budget fédéral de 2015.
Cordialement,
Justin Trudeau, député
Chef du Parti libéral du Canada