Justin Trudeau propose d’utiliser le modèle de l’assurance maladie pour lutter contre les changements climatiques au Canada
07 février 2015
La version prononcée fait foi
Merci beaucoup de m’avoir invité à revenir parmi vous aujourd’hui.
Permettez-moi, tout d’abord, de rappeler un fait qui mérite une mention particulière : il y a aujourd’hui exactement neuf ans, M. Harper était assermenté à titre de 22e premier ministre du Canada.
Comme vous pouvez vous en douter, je vais critiquer certaines choses qu’il a faites – ou pas – au cours de ces neuf années. Mais comme beaucoup d’entre vous, j’ai énormément de respect pour les fonctions qu’il assume et pour l’institution qu’il dirige, et j’aimerais le remercier pour ses nombreuses années de service public.
M. Harper a bâti un mouvement politique qui a mis les intérêts des Canadiens de l’Ouest au centre de la vie politique nationale. L’Ouest s’est fait entendre, et cela ne changera pas, peu importe qui formera le prochain gouvernement.
Permettez-moi aussi de féliciter des gens qui vous touchent de plus près.
Vous êtes bien placés pour savoir que le Canada a besoin de mettre un prix sur le carbone.
Cette semaine, le monde a reconnu ce que les gens de Calgary savaient déjà : Naheed Nenshi est réellement l’un des meilleurs maires de la planète.
Et l’automne dernier, vous avez accueilli un nouveau premier ministre – un de mes anciens collègues au Parlement – avec qui j’espère travailler encore, en tant que partenaire, si je suis élu premier ministre du Canada.
Mais tout n’est pas rose actuellement, je le sais bien.
La chute des prix du pétrole va ébranler l’économie – on le constate déjà – et le choc ne sera ressenti nulle part aussi durement qu’ici, en Alberta.
Le projet de pipeline Keystone XL s’enlise. Nous ne sommes pas plus près d’une approbation que la dernière fois où j’ai pris la parole devant le Petroleum Club, en 2013. La seule chose qui semble de plus en plus probable, c’est un veto présidentiel.
Et puis, ceux d’entre vous qui travaillent dans le secteur énergétique le savent mieux que personne, sur le plan environnemental, nous avons encore du mal à rebâtir notre réputation, ici et à l’étranger. L’inaction des conservateurs de M. Harper attire de plus en plus de critiques de la part de la communauté internationale, y compris d’importants partenaires commerciaux.
Or, les deux derniers points que je viens d’évoquer – le fait que le projet Keystone est au point mort et que notre réputation est encore ternie – résultent directement d’un autre manquement du gouvernement fédéral qui n’a pas réussi à adopter une position sensée et crédible sur l’environnement et l’économie.
C’est bien simple, prétendre, en 2015, qu’il faut choisir entre l’un ou l’autre est aussi mauvais que faux.
Le premier ministre Prentice l’a bien compris, lui qui a déclaré : « Faire d’une politique environnementale une priorité n’est pas exclusivement affaire de morale, c’est un impératif économique. »
C’est particulièrement vrai avec un marché des ressources naturelles de plus en plus compétitif.
Il n’est pas nécessaire d’avoir occupé les fonctions de premier ministre pendant neuf ans pour savoir qu’un tel climat d’incertitude exige plus de diplomatie et non le contraire. Lancer des injures… des ultimatums… cela ne donne aucun résultat concret, constructif et mesurable qui soit dans l’intérêt du secteur canadien des ressources.
Une telle attitude ne fait que rendre plus hostiles des gens de bonne volonté, ici et à l’étranger. Or, sans leur appui, il devient difficile d’avoir l’approbation sociale nécessaire pour que les projets ne restent pas au stade de la planification.
Je sais, vous pouvez considérer que plaider en faveur de l’approbation sociale est une excuse pour empêcher la mise en chantier de projets. Je sais aussi que, seules, les entreprises ne peuvent pas obtenir l’approbation sociale nécessaire pour créer la croissance et les emplois dont nous avons besoin. Et cela ne fait aucun doute : les Canadiens veulent cette croissance et ont besoin de ces emplois.
On comprend mieux, je crois, ce que beaucoup appellent « approbation sociale » si on parle de « confiance du public », car c’est bien de cela qu’il s’agit, fondamentalement.
D’un projet à l’autre, la crédibilité du gouvernement fédéral a été compromise, et les Canadiens ne croient plus qu’ils peuvent lui faire confiance pour défendre leurs intérêts.
Ils ne croient pas que nous nous acquittons de nos obligations internationales en matière de réduction des gaz à effet de serre. Et ils ont raison : alors qu’il ne nous reste que cinq ans pour le faire, nous sommes loin de pouvoir atteindre les objectifs de réduction des émissions que M. Harper s’est engagé à respecter en notre nom à Copenhague.
Ils ne croient plus que nous respectons les droits des peuples autochtones.
À titre d’acteurs de premier plan et de partenaires de développement, les Canadiens d’origine autochtone ont le droit – reconnu par la loi et protégé par la Constitution – d’être consultés à propos des projets de grande envergure qui risquent d’avoir des répercussions sur leurs droits. Or, le gouvernement considère que cette importante responsabilité est tout à fait accessoire. Votre premier ministre l’a lui-même souligné lorsqu’il était vice-président de la CIBC.
Et les Canadiens ne croient pas non plus que le processus d’approbation est adéquatement contrôlé. Il est difficile de prétendre le contraire lorsqu’on a un gouvernement qui enfouit des modifications majeures aux lois sur la protection environnementale dans des projets de loi budgétaires, et proclame son appui pour un projet avant même que les audiences le concernant ne soient terminées.
Ces agissements dans le but d’éviter un débat et de passer outre à une analyse équitable mine la confiance du public dans le gouvernement. Et une fois que ce déficit de confiance existe, il est difficile d’accomplir quoi que ce soit. En somme, en l’absence d’une gérance responsable de l’environnement, les grands projets touchant les ressources sont paralysés.
Alors, que pouvons-nous faire?
Si nous voulons rétablir notre réputation internationale – et il le faut pour créer des emplois et stimuler l’investissement – nous devons agir, et agir maintenant.
Si nous voulons acheminer nos ressources vers les marchés, le gouvernement fédéral doit également agir pour regagner la confiance du public ici, chez nous.
Pour ce faire, il faut commencer par engager une discussion réfléchie et honnête sur la tarification du carbone.
Vous êtes nombreux dans cette salle à penser que mettre un prix sur le carbone est bon pour l’environnement, pour l’économie et pour le secteur pétrolier et gazier de l’Alberta. Plusieurs entreprises incluent déjà une « tarification virtuelle du carbone » dans leurs modélisations financières et d’entreprise.
Vous êtes bien placés pour savoir que le Canada a besoin de mettre un prix sur le carbone. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes déjà en train de le faire.
En dépit de l’hostilité de M. Harper à cette idée, des provinces comme la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Québec – et bientôt, l’Ontario – se sont toutes engagées à tarifer le carbone, sous une forme ou sous une autre. Prises ensemble, ces juridictions représentent plus de 85 % de l’économie canadienne.
Elles agissent ainsi parce qu’elles savent que les changements climatiques sont réels, que pour sauvegarder l’avenir de nos enfants, nous devons réduire les émissions de carbone et que mettre un prix sur le carbone est un moyen efficace d’y parvenir.
Le problème, c’est que les initiatives des provinces ne sont pas coordonnées et qu’elles sont limitées par l’absence de leadership au niveau fédéral. Rien ne permet de vérifier que toutes les régions du pays font leur part. Il est donc difficile pour le gouvernement fédéral de parler avec assurance et fierté de nos efforts en faveur de la protection de l’environnement lors de rencontres avec des législateurs étatsuniens ou dans le cadre de négociations internationales.
Pourtant, ces diverses initiatives provinciales révèlent un de nos atouts les plus précieux : le génie du fédéralisme canadien. Les initiatives des provinces canadiennes montrent une nouvelle fois que le leadership régional peut faire progresser le Canada.
Mais il y a un autre programme qui a un profond retentissement sur la vie personnelle de tous les Canadiens. Je veux parler du Régime d’assurance-maladie.
Aujourd’hui, je vais vous dire quelle est la leçon la plus importante que j’ai tirée de ma participation à la vie publique :
Le gouvernement fédéral n’a pas toutes les solutions.
Tous les problèmes auxquels fait face le Canada face ne peuvent être résolus uniquement par Ottawa. Avancer vers des solutions aux difficultés les plus importantes à nos yeux exige une réelle coopération avec les gouvernements provinciaux, territoriaux et autochtones, ainsi qu’un juste respect des différences régionales.
Lorsque le gouvernement fédéral ignore ces distinctions régionales ou ne tient pas compte des perspectives provinciales et territoriales, notre pays en est affaibli au lieu d’en être plus fort. C’est ce qui s’est passé lorsque le gouvernement fédéral a imposé le Programme énergétique national, en dépit de la vive opposition de l’Ouest canadien en général et plus particulièrement, de l’Alberta.
Les Canadiens le savent bien : nous sommes solidaires. Un programme fédéral qui est mauvais pour une partie du pays est mauvais pour tout le monde. Et s’il y en a parmi vous qui pensent que le Programme énergétique national c’était avant mon temps, croyez-moi, on n’oublie pas de m’en parler chaque fois que je suis en Alberta. Il y a assez de choses dans ce pays qui nous éloignent les uns des autres, nous avons besoin d’un leadership qui nous rassemble.
Ne vous y trompez pas, en matière d’énergie et d’environnement, le leadership fédéral est essentiel, c’est clair.
Pour être valable, tout plan de réduction des émissions de carbone au Canada implique obligatoirement un gouvernement fédéral ouvert, mobilisé et engagé à agir en partenaire des provinces et des territoires.
Ne réduisons pas l’importance de ce que les provinces ont déjà accompli. L’Ontario a fermé ses centrales au charbon. La Colombie-Britannique a instauré avec succès une taxe carbone globale, sans incidence fiscale. Le Québec a commencé par adopter une forme de taxe carbone avant de passer à un programme plus large de plafonnement et d’échange avec la Californie. Et ici, en Alberta, vous avez été les premiers à instaurer un système plus souple combinant la réglementation des émissions ainsi que le versement de redevances et l’échange de droits d’émission.
Même si les méthodes varient, les provinces ont choisi des programmes de réduction des émissions qui sont dans la logique de leur contexte et de leurs priorités économiques.
C’est une bonne chose. Le train est lancé au Canada. Les gouvernements et l’industrie commencent à saisir les possibilités offertes par la technologie propre et l’énergie renouvelable. Nous avons vu des provinces tarifer le carbone par des moyens favorables et non nuisibles à leur économie.
En ce qui me concerne, j’ai l’intention de mettre ces initiatives à profit.
Les néodémocrates, eux, parlent d’une solution unique venant d’Ottawa.
Et les conservateurs de M. Harper? Soyons francs. Ils ne semblent pas intéressés à trouver une quelconque solution.
Nous savons que le leadership fédéral ne se résume pas à l’élaboration de programmes fédéraux.
C’est pourquoi nous voulons mettre les initiatives provinciales à profit, dans l’esprit du fédéralisme canadien.
Certains des plus grands progrès que nous avons accomplis à l’échelle du pays – des progrès qui ont un impact important sur la vie quotidienne des Canadiens – ont été réalisés lorsque les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont travaillé ensemble pour trouver des solutions à des problèmes complexes.
Les exemples ne manquent pas.
Il y a le Régime de pensions du Canada, qui procure une certaine tranquillité d’esprit aux Canadiens lorsqu’ils arrivent à l’âge de la retraite. Il y a aussi la Prestation nationale pour enfants qui donne aux familles dont le revenu est modeste le soutien dont elles ont besoin pour que leurs enfants ne se couchent pas le ventre creux. Il y a encore le Fonds de la taxe sur l’essence qui, après des négociations avec les provinces, permet le transfert de deux milliards de dollars aux municipalités pour faciliter la mise en oeuvre de projets d’infrastructures locaux.
Mais il y a un autre programme qui a un profond retentissement sur la vie personnelle de tous les Canadiens. Je veux parler du Régime d’assurance-maladie.
Notre régime public de soins de santé prend sa source dans une expérience ambitieuse et visionnaire lancée en Saskatchewan. Graduellement, au fil du temps, d’autres provinces et territoires ont adopté des mesures semblables. Et à certains moments clés, le gouvernement fédéral a fait preuve de leadership.
Comment? En identifiant des principes de base en matière de soins et en les enchâssant dans la Loi canadienne sur la santé. Le gouvernement fédéral a encouragé les provinces et les territoires à concevoir des régimes de soins de santé qui répondaient à leur situation particulière, à condition que les principes garantis par la Loi canadienne sur la santé soient respectés. De plus, le gouvernement fédéral a participé à la concrétisation de ce projet national en devenant un partenaire financier important.
Notre régime de soins de santé n’est pas parfait, mais il représente ce qu’il y a de meilleur dans le fédéralisme canadien. Il est assez souple pour tenir compte des besoins des régions, tout en protégeant les principes nationaux auxquels les Canadiens tiennent précieusement.
Telle est l’approche que j’adopterais pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
À l’heure actuelle, les provinces et les territoires ont leurs propres objectifs de réduction des émissions qui, pris ensemble, sont très proches des objectifs que le premier ministre s’est engagé à atteindre au nom du Canada. Mais, comme je l’ai mentionné, collectivement, nous ne sommes pas en voie d’y parvenir, loin de là.
Beaucoup d’entre vous le savent certainement, la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques doit avoir lieu début décembre à Paris. Si j’ai le privilège de former un gouvernement cet automne, j’irai à la conférence pour transmettre deux messages à nos partenaires internationaux :
Premièrement : Le Canada prend ses responsabilités environnementales au sérieux, et nous participerons plus énergiquement à la lutte contre les changements climatiques. Nous montrerons la voie parce que c’est ce qui doit être fait et parce que c’est bon pour notre économie.
Deuxièmement : Acheminer nos ressources vers les marchés est une des priorités du nouveau gouvernement, et nous savons qu’honorer nos engagements environnementaux est un facteur clé de notre réussite économique.
À Copenhague, nous avons malheureusement vu des premiers ministres canadiens attaquer le gouvernement du Canada. Nous devrions aller à Paris ensemble, dans un but commun. Dans les 90 jours suivant notre retour, je rencontrerai les dirigeants provinciaux et territoriaux afin de mettre en oeuvre un cadre de référence pancanadien pour réduire les émissions de carbone partout au Canada.
Croyez-moi, rien n’est plus important pour l’économie canadienne que de régler correctement cette question.
Lors de notre retour de Paris, je vais rencontrer les premiers ministres provinciaux et territoriaux dans les 90 jours qui suivront afin de mettre en place un plan pancanadien pour réduire nos émissions de carbone.
Soyons clairs, cette collaboration est primordiale pour le succès de l’économie canadienne.
Le Canada établira des objectifs de réduction des émissions fondés sur les meilleures analyses économiques et scientifiques. Les provinces et les territoires devront tous faire leur part. Mais ne nous leurrons pas, fixer des objectifs ne suffit pas, il faut mettre en place des politiques efficaces pour pouvoir les atteindre.
Nous établirons donc une norme nationale, en collaboration avec les provinces et les territoires, une norme assez souple pour leur permettre d’élaborer leurs propres politiques dans le but d’atteindre ces objectifs, y compris leurs propres politiques de tarification du carbone.
Et nous fournirons aux provinces et territoires un financement ciblé pour les aider à atteindre leurs objectifs, de la même façon que le Transfert canadien en matière de santé est conçu pour aider les provinces et les territoires à réaliser les objectifs inscrits dans la Loi canadienne sur la santé.
Nous savons tous qu’il existe, partout au Canada d’énormes possibilités d’investissement dans des énergies plus vertes, l’efficacité énergétique, les transports en commun, etc. Mais ce sont les provinces, les territoires, les municipalités et les communautés qui sont les mieux placés pour savoir quelles sont leurs grandes priorités.
Nous devons entamer une nouvelle discussion dans ce pays; une discussion qui s’appuiera sur un dialogue respectueux entre les gouvernements et les Canadiens; qui permettra au Canada d’être concurrentiel dans une économie mondiale axée sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre; et qui reflète le meilleur de nous-mêmes et le montre au monde entier.
Devant un problème aussi sérieux que celui que posent les changements climatiques, et dans un pays aussi divers que le Canada, nous devons trouver une solution pratique et pragmatique. Je suis fier de celle que nous présentons aujourd’hui.
L’histoire démontre que le Canada donne toute sa mesure lorsque tous les paliers de gouvernement collaborent pour résoudre les problèmes importants pour les Canadiens.
Réduire les émissions de carbone et lutter contre les changements climatiques, c’est important pour moi, pour les Canadiens et pour le monde entier.
Il est temps d’en faire plus.
Je suis le chef du Parti libéral du Canada, mon nom de famille est Trudeau, et je me tiens ici, devant vous, au Petroleum Club, à Calgary. Je sais à quel point les questions d’énergie peuvent diviser ce pays. Mais je sais aussi qu’un leadership fort peut nous aider à faire face aux défis qui se posent. Pas un leadership dictatorial, mais un leadership à l’écoute, respectueux de nos différences tout en favorisant la collaboration, et ouvert aux idées neuves et innovantes.
C’est bien simple, prétendre, en 2015, qu’il faut choisir entre l’un ou l’autre est aussi mauvais que faux.
J’envisage l’avenir du Canada avec optimisme, et vous aussi, vous devriez être optimistes.
Si nous nous engageons à mettre en oeuvre le plan que j’ai décrit aujourd’hui, nous pouvons renouer des relations brisées et regagner la confiance du public. J’ai passé beaucoup de temps en Alberta. Je sais que les gens d’ici veulent la même chose que tous les Canadiens. Vous voulez que vos enfants et vos petits-enfants grandissent en bonne santé et dans un pays prospère. Vous voulez léguer à vos enfants un pays meilleur que celui que vous ont laissé vos parents. Les Canadiens ont résolu de plus gros problèmes, et nous résoudrons aussi celui-ci, comme nous l’avons toujours fait, ensemble.
Merci.