Réponse du chef du Parti libéral du Canada au discours du Trône
18 octobre 2013
M. le Président, je vous remercie de me donner l’occasion de participer à ce débat.
Pour commencer, permettez-moi de vous dire à quel point je suis déçu que ce débat ne porte pas réellement sur le discours du Trône. Au lieu de cela, nous avons un court débat sur une motion d’autosatisfaction du gouvernement. Mais après 8 ans, nous en avons l’habitude, n’est-ce pas? Encore plus inquiétant est le fait qu’ils empêchent les députés de tous les partis de participer à un débat sur le programme du gouvernement.
D’un bout à l’autre du pays, j’ai constaté qu’un sentiment revenait sans cesse : la déception des gens de voir que ce gouvernement ne respecte même pas ses propres députés. Les Canadiennes et les Canadiens ont élu des députés pour qu’ils les représentent à Ottawa, mais en fait, ils se retrouvent avec des représentants du Cabinet du premier ministre dans leurs localités. Que le gouvernement rompe avec la tradition de permettre à ses propres députés d’arrière-ban de s’exprimer sur le discours du Trône n’en est que le dernier exemple.
Ce n’est pas ce à quoi on s’attend de nous dans cette Chambre. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai passé l’été à rencontrer des Canadiennes et des Canadiens. J’ai passé du temps chez moi, à Montréal, avec ma famille, avec mes électeurs de Papineau. J’ai traversé plus de 60 grandes métropoles, villes et villages, et j’ai écouté les enseignants, les camionneurs, les agriculteurs et les propriétaires de petites entreprises me raconter leurs préoccupations.
Pouvoir rencontrer les Canadiennes et les Canadiens, parler avec eux, les écouter et en apprendre davantage sur les défis auxquels ils sont confrontés est une occasion en or. C’est un privilège que nous partageons tous ici, et j’espère pouvoir leur rendre justice aujourd’hui.
Une chose est ressortie des centaines de discussions que j’ai eues en tête-à-tête avec les gens : les Canadiens se sentent abandonnés par leur gouvernement. Et même si c’est formidable d’aller sur le terrain et d’entendre des commentaires honnêtes, laissez-moi vous dire que si le service public vous tient à cœur, ces commentaires sont difficiles à entendre.
Plus j’écoutais, plus il devenait évident que ce n’était pas facile pour eux non plus d’en parler. Le cynisme est omniprésent, pourtant ce n’est pas dans la nature des Canadiennes et des Canadiens. Cela ne nous ressemble pas; nous aimons tendre la main et tisser des liens les uns avec les autres. Toute cette méfiance et cette suspicion ne reflètent pas du tout ce à quoi aspirent les Canadiennes et les Canadiens.
Mais en même temps, je peux comprendre. Il est difficile de ne pas être déçu de son gouvernement quand chaque jour apporte son lot de scandales ou lève le voile sur une nouvelle erreur de jugement. Les Canadiennes et les Canadiens sont dirigés par un gouvernement qui dit croire fermement en la responsabilité et la transparence. Ce même gouvernement qui a perdu cinq députés du caucus à cause de scandales. Le bureau du premier ministre fait toujours l’objet d’une enquête criminelle de la GRC pour un chèque 90 000 $ qui a été donné à un législateur. L’ancien président du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité est accusé de fraude, d’abus de confiance et de blanchiment d’argent. Le député de Peterborough — qui était, jusqu’à l’été dernier, le secrétaire parlementaire du premier ministre —fait face à quatre chefs d’accusation pour des infractions aux lois électorales. Et ce ne sont là que les scandales dont nous avons entendu parler.
Les personnes en question peuvent démissionner du bureau du premier ministre ou être expulsées du caucus. Elles peuvent même fuir au Panama. Mais le premier ministre leur a confié ce poste. Il leur a donné l’occasion d’abuser de la confiance de la population. Il pensait qu’elles étaient dignes de confiance et, à tour de rôle, elles lui ont prouvé le contraire. En voyant cela, que pouvons-nous penser du jugement du premier ministre?
Je comprends que les Canadiens soient déçus et se sentent abandonnés. C’est une réaction naturelle quand, jour après jour, vous réalisez de plus en plus que votre confiance a été trahie. Que vos espoirs étaient mal fondés.
Le discours du Trône que nous avons entendu hier était l’occasion pour le gouvernement de revenir sur la bonne voie. De regagner la confiance des Canadiens. Ce que le gouvernement nous a dit hier peut être classé en deux catégories : des paroles en l’air et du bruit de fond.
Les priorités que le gouvernement a identifiées sont bonnes, mais elles ne vont pas assez loin. Les Canadiennes et les Canadiens ont besoin de plus de perspectives d’emploi, de meilleures perspectives d’emploi, et non pas d’une subvention pour l’emploi qui a été rejetée par l’ensemble des dix provinces parce qu’elle devait être financée à partir de budgets provinciaux déjà très serrés.
Ils ont besoin de sentir que leurs priorités sont également celles du gouvernement, que leurs intérêts obtiennent plus de d’attention que les tentatives désespérées du gouvernement de sauver sa propre peau.
Où est le plan pour attirer les investisseurs dans ce pays, afin de créer de bons emplois pour la classe moyenne? Au lieu de cela, le gouvernement repousse les investisseurs en faisant de la politique comme les Keystone Kops.
Où est le plan pour nos jeunes, alors que cette soi-disant récupération économique n’existe presque pas pour eux?
Où est le plan pour les Canadiens de la classe moyenne qui croulent sous un niveau record d’endettement? Des dettes qu’ils ont contractées pour garder ce pays à flot pendant la crise économique. Tout ce qu’ils entendent de ce gouvernement n’est qu’une tentative grossière de s’attribuer le mérite de leur travail acharné, de leur esprit d’entreprise et de leur volonté de prendre des risques.
Ces problèmes ne sont pas faciles à résoudre, M. le Président. Ce gouvernement est tellement enfermé dans sa routine, tellement fatigué, qu’il ne se donne même pas la peine d’essayer.
Au contraire, il nous sert des politiques emprisonnent le CRTC dans les années 90. Au lieu d’aborder les services de données et de télécommunications en regardant vers l’avenir, ce gouvernement approuve des politiques qu’il a lui-même rejetées par le passé.
À l’ère d’Apple TV, de YouTube, de Netflix et de Big Data, ce gouvernement conservateur cherche toujours la télécommande sous le canapé.
Pas étonnant qu’il ait tant de mal à changer de discours.
Je tiens à dire aux Canadiennes et aux Canadiens que ce gouvernement a plus d’un tour dans son sac et qu’il ne nous a pas tout dit cet après-midi.
Alors que les conservateurs se préparent pour leur congrès d’Halloween, dans la superbe ville de Calgary, ils enfilent une fois de plus un costume, mais qui en révèle assez pour nous permettre de voir à quel point ils sont déconnectés de la réalité des Canadiennes et des Canadiens.
Leur ministre de l’Environnement doute des changements climatiques et remet en question les preuves de la fonte estivale des glaces marines constatée dans sa propre circonscription.
Leur ministre du Développement confirme que le gouvernement ne financera plus des projets pour aider les victimes de viol en temps de guerre ni pour aider les jeunes filles qui ont été forcées à se marier.
Leur ministre de la Santé s’attaque aux décisions des médecins et des professionnels de la santé de son propre ministère.
Leurs ministres anglophones condamnent le plan du gouvernement péquiste de légiférer contre les droits des minorités, tandis que leur ministre responsable du Québec déclare : « Il n’y a rien qui me choque dans ce projet. »
Ce ne sont pas là des députés indisciplinés. Ce sont des ministres du Cabinet, des élus de tout premier plan, sélectionnés par le premier ministre lui-même. Leurs prises de position – déni des changements climatiques, répression des droits génésiques, refus d’accorder des traitements médicaux à la population, refus de condamner une attaque contre les droits et libertés individuels – sont un affront aux valeurs canadiennes.
Les Canadiennes et les Canadiens ont élu ce gouvernement pour défendre leurs intérêts. Mais il est devenu absolument évident, monsieur le Président, que ce gouvernement ne défend que ses propres intérêts.
Il n’a qu’un objectif, et ce n’est pas de servir les Canadiennes et les Canadiens. C’est un gouvernement politisé, pris dans une série sans fin de problèmes politiques, et qui réagit de la seule manière qu’il connaît : en y apportant des solutions politiques. Et aucune – je dis bien aucune – ne vient en aide à notre classe moyenne en difficulté.
Notre économie a plus que doublé au cours des 30 dernières années. Qui a bénéficié de cette croissance? Pas la classe moyenne. En dépit de tout le progrès économique accompli par notre pays, les familles de la classe moyenne n’ont pas profité d’une réelle augmentation salariale depuis des dizaines d’années.
Alors que les revenus stagnaient et que des dépenses essentielles comme celles liées à l’éducation postsecondaire ou aux transports augmentaient à un rythme beaucoup plus rapide que l’inflation, les ménages canadiens ont été forcés de s’endetter encore et encore. En pourcentage du revenu disponible, l’endettement de nos ménages a même maintenant dépassé celui des ménages états-uniens.
Les gens de la classe moyenne s’inquiètent désormais — et à juste titre — que, malgré tout leur travail acharné, ils ne pourront pas offrir à leurs enfants les mêmes opportunités qu’eux ont reçues de leurs parents.
Les Canadiennes et les Canadiens qui se démènent avec de plus faibles revenus sont également inquiets à ce sujet : ils voient la promesse de la mobilité ascendante par le travail acharné se volatiliser sous leurs yeux.
Et les Canadiens plus fortunés ont également besoin de la réussite de la classe moyenne. Tant que le gouvernement ne reconnaîtra pas qu’une économie forte est celle qui fournit le plus grand nombre d’emplois de qualité au plus grand nombre de Canadiens, les politiques axées sur la croissance économique risquent de ne pas garder l’appui de la population.
Les Canadiennes et les Canadiens se sont fait promettre qu’avant tout, le gouvernement prendrait l’économie en mains? C’est ce qui a gagné le vote de bien des gens. Quels sont les résultats?
Eh bien, premièrement, la croissance a particulièrement stagné sous ce gouvernement. En sa huitième année en fonction?, le très honorable député de Calgary-Sud-Ouest affiche le pire bilan de croissance économique depuis R.B. Bennett, au creux de la Grande Dépression. Sous ce gouvernement qui proclamait tenir la barre « d’une main ferme », nous avons vu dix surplus budgétaires fédéraux consécutifs se transformer en sept déficits consécutifs.
Ce gouvernement a fait enfler notre dette nationale à un rythme sans précédent. D’ici aux prochaines élections, il y aura ajouté, en seulement huit ans, plus de 150 milliards de dollars, selon ses propres calculs!
Le taux de chômage reste résolument supérieur à ce qu’il était avant que la récession nous frappe, il y a maintenant cinq ans, atteignant près de deux fois la moyenne nationale chez les jeunes. Et malheureusement, notre taux de chômage ne semble s’améliorer que lorsque les travailleurs baissent les bras et quittent le marché du travail.
Et nous avons été témoins de cela, dans nos propres familles, dans les communautés où nous vivons et que nous représentons, d’un océan à l’autre, pendant que l’on nous répétait : « Ne vous inquiétez pas. L’économie est notre priorité. Tout va bien. »
Je pense que nous pourrions ignorer cette hypocrisie si elle ne s’inscrivait pas dans le cadre d’une campagne de marketing savamment orchestrée, que nous payons de notre poche. Car savez-vous ce qui, pour moi, est l’image même du bilan économique de ce gouvernement? Le logo du Plan d’action économique.
Chaque fois que je le vois, avec ses trois flèches pointant vers le ciel, je me dis : « Oui, c’est exactement ce que le Plan d’action économique a eu comme résultats : augmentation de l’endettement, augmentation du chômage et augmentation de la déception des Canadiennes et Canadiens. » Voilà l’héritage économique de ce gouvernement conservateur.
Alors que j’écoutais le discours du Trône, une expression m’est venue à l’esprit. C’est une expression que j’ai déjà utilisée pour décrire ce gouvernement, mais elle s’applique toujours, ce qui ne me surprend pas! Cette expression c’est : sans ambition. Comme je l’ai dit en avril dernier, nous avons là un gouvernement dont le principal message concernant l’économie est : ça pourrait être pire, soyez contents de ne pas vivre en Espagne.
Cette attitude va complètement à l’encontre des valeurs des Canadiennes et des Canadiens. Les gens avec qui j’ai parlé cet été sont ambitieux. Ils ne sont pas complaisants. Ils ne sont pas prêts à se contenter d’assez bien lorsqu’ils savent que mieux est possible.
Voilà la différence profonde qui existe entre ce gouvernement et les gens qu’il devrait servir. Session après session, ce gouvernement s’évertue à croire que « faire mieuxe » est tout simplement irréalisable. Qu’exiger quelque chose de plus de nos dirigeants et de nous-mêmes est une perte de temps, et pire, naïf.
C’est peut-être vrai pour ceux qui ont été trop longtemps au pouvoir et qui sont déconnectés de la réalité. Vous commencerez alors peut-être à croire que faire des nominations spéciales et des ententes secrètes, ou encore nier publiquement des faits, sont la norme. Dans ce cas, il est effectivement possible que ce genre de vision du monde commence à avoir du sens.
Mais dire aux Canadiennes et Canadiens que leur engagement politique est futile, que leur activisme d’indignés est vide de sens, que leur mouvement « Idle no more » et sa marche de 1 600 kilomètres dans les rigueurs de l’hiver canadien ne fait aucune différence – c’est là faire preuve d’un défaitisme qui n’a pas sa place dans cette Chambre. Il n’a pas sa place dans le Canada que je connais et que je sers, dans le pays dont nous dessinons ensemble l’avenir.
Les Canadiennes et les Canadiens s’attendent à mieux. Ils ont raison et ils en ont le droit. Nous avons hâte d’avoir encore plus de conversations avec les Canadiennes et les Canadiens, de contribuer à rétablir l’espoir là où il s’essouffle. C’est le temps – en fait, il est plus que temps – de redonner au Parlement le respect, la dignité et la confiance du public qu’il mérite.
C’est bon d’être de retour ici.
Seul le discours prononcé fait foi